Le taux d’inflation est-il réel ?

 

L’histoire commence lorsqu’un économiste consultant, John William, est contacté par une firme oeuvrant dans la construction d’avions qui rencontre certains problèmes. La firme en question utilise un modèle prévisionnel concernant les revenus espérés ; ce modèle se base sur le nombre de passagers potentiels au cours de l’année. Celui-ci utilise, entre autres, les chiffres du Produit National Brut tels que publiés par le Département du Commerce. Pour une raison inconnue, le modèle qui fonctionnait relativement bien jusqu’à ce moment cesse de donner des résultats valides. William réalise que les chiffres sur la croissance économique ne sont pas fiables et les modifie ; le modèle fonctionne de nouveau et ce, pendant un bon bout de temps. Mais la méthode statistique du gouvernement pour établir le PNB change de nouveau et le modèle devient inutile.

 

Williams commence alors à interroger des gens impliqués dans la production de ces chiffres; au fil des ans il rencontre des consultants de firmes privées qui, eux aussi ont des doutes sur la solidité des données gouvernementales. Selon William, depuis 30 ans la fiabilité des statistiques concernant le taux de chômage, le taux d’inflation et le taux de croissance réel du PNB n’a pas cessé de décliner. Le fait de rendre la chose publique après avoir contacté les médias lui vaut de rencontrer certains représentants en charge de compiler ces statistiques mais seuls des changements mineurs seront apportés afin de rectifier les données.

 

A l’origine, on trouve une question de gros sous. Non seulement le gouvernement doit-il payer des chèques de retraite qui sont indexés au coût de la vie mais cette règle vaut aussi pour certains programmes sociaux, les salaires des employés de la fonction publique ainsi que certains contrats avec des firmes privées.

 

Jusqu’au début des années 1980 le calcul de cet indice était relativement correct. Une certaine liste de produits était dressée, un « panier d’achat typique », et les prix des produits étaient mis à jour tous les mois. Le prix des automobiles, des appareils ménager, du logement, des loisirs, du transport, etc.. était aussi pris en compte en assignant un « poids » relatif pour tous ces items autant que pour l’épicerie en prenant un ménage moyen typique.

 

Certains changements furent faits pendant les années 80 mais c’est surtout sous le mandat de Clinton que le calcul de cet indice fut modifié de fond en comble. Les architectes de cette « modernisation » sont principalement Alan Grenspan et Michael Boskin.

 

Parmi les modifications apportées on retrouve le principe de la substitution. Selon les mots de William, si l’achat d’un bifteck devient trop onéreux, le consommateur préfèrera s’acheter un hamburger, donc il ne déboursera pas d’avantage et il n’y a pas d’inflation pour cet item. Mieux encore, il se peut qu’il paie maintenant moins cher. Le jour où le hamburger sera trop cher il sera toujours possible d’utiliser de la nourriture pour chien comme substitut si on adhère à la logique du principe. Donc le coût de la vie ne représente plus ce que quelqu’un doit payer pour maintenir son standard de vie mais ce qu’il doit payer pour survivre.

 

La description donnée par William est exagérée, néanmoins il s'avère que le principe existe effectivement. Ceux qui font le calcul ne substituront pas un hamburger à un bifteck (du moins pas pour le moment!) mais ils peuvent parfaitement substituer du raisin à des oranges si le prix de celles-ci montre ou une marque d'oeufs à une autre en disant que le consommateur orientera sa préférence vers la marque la moins chère. Mais le principe de la substitution est en lui-même une monstruosité qui permet de faire dire ce qu'on veut aux statistiques en excluant une méthode rigoureuse et scientifique. Le bon sens voudrait que si le panier de départ contienne une marque "A" celle-ci soit conservée au fil des ans à chaque fois qu'un échantillonage est pris. Prenons deux marques "A" et "B"; pour ces deux marques la douzaine d'oeufs se vend 3$. Le jour de l'échantillonage la marque "A" se vend maintenant 3.50$ mais la marque "B" se vend toujours 3$. Evidemment le consommateur aura tendance à substituer la marque "B" à son panier, mais cela ne veut pas dire que l'inflation sur les oeufs est de zéro; le stock de marque "B" se vendra rapidement et les consommateurs qui arrivent au supermarché le lendemain devront se rabattre sur la marque "A". Le gérant du magasin commandera d'autres oeufs de marque "B" mais, pour protéger ses stocks, il haussera le prix de "B" afin de ne pas rester avec un stock de "A" invendu. De sucroit même si la marque "B" est toujours disponible au même prix, mais dans un autre magasin à 20 km, personne ne fera le trajet en voiture ou en autobus pour sauver 50 cents. Bref, seule une fraction des consommateurs auront pu substituer la marque "B" à leur panier. Et lorsqu'on parle de bière, de pain, de céréales ou de biscuits, rien ne dit que la marque "B" soit de qualité identique.

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Une autre façon de minimiser l’inflation consiste à modifier le poids assigné à chaque item dans le panier à provisions pour minimiser le poids des items dont le prix a augmenté. Mais si un tel changement peut se faire après un an ou deux en donnant une justification boiteuse, il ne peut pas se faire à chaque mois sans que ça ne sente trop l’arnaque, même pour les subalternes qui sont chargés de faire la compilation des prix.
Mais les modèles mathématiques sont là pour donner un petit coup de pouce. Imaginons que vous achetiez une boite de petits pois en conserve, une boîte de sauce tomate et un jus de pomme. Chaque item coûte 1$. En achetant une fois chaque item le coût total est de 3$. Six mois plus tard les deux boîtes de conserve coûtent 1.50$ au lieu de 1$ et le jus de pomme est au même prix. Normalement le même panier coûte maintenant 4$ au lieu de 3$ et l’augmentation totale est de 33%. Mais avec la formule de la moyenne géométrique pondérée on obtiendrait une augmentation de 31% et non 33%.
Si le prix de deux items sur trois double et que le prix de l’autre ne bouge bas, la moyenne arithmétique donnerait, pour un panier qui vaut maintenant 5$, une augmentation de 2$/3$ soit 66.7% . Mais avec la moyenne géométrique pondérée on obtiendrait une augmentation de 58.7% seulement avec le calcul suivant.

(1.00/1.00) 0.33 *(2.00/1.00) 0.33 *(2.00/1.00) 0.33 =1,587

En fait la seule fois ou la moyenne géométrique donne une augmentation qui n’est pas inférieure à l’augmentation réelle, soit l’augmentation arithmétique, c’est lorsque le pourcentage d’augmentation du prix de chacun des produits a été identique, CE QUI N’ARRIVE JAMAIS. Dans un panier d’épicerie on ne verra jamais les tomates, le beurre, les œufs et le pain monter de 20% en même temps.

 

Mais l’ajustement sur le calcul de l’indice des prix ne concerne pas uniquement le poids relatif de chaque item, le passage à la moyenne géométrique et le principe de la substitution. Un des aspects les plus étranges concerne le caractère « hédonique ». Si un additif est ajouté à l’essence et que le prix de celle-ci monte de 10%, le fait de pouvoir respirer un air plus pur compense et il n’y a pas eu d’augmentation du prix de l’essence. Si le prix d’une machine à laver augmente de 20% mais que vous ne tournez plus une roulette bruyante comme auparavant il se peut que vous tiriez un certain plaisir à appuyez sur le nouveau bouton électronique qui remplace la roulette et qui n’émet qu’un doux déclic. Donc le prix de la machine n’a pas vraiment augmenté de 20%. Et, bien sûr, si le l’ordinateur vendu au magasin coûte le même prix qu’il y a deux ans mais contient deux fois plus de mémoire, alors c’est que son prix a baissé de 50% dans les faits.

 

Lorsque les données sur le taux d’inflation sont rendues publiques, il est fréquent d’exclure le coût de l’énergie ou des aliments puisque les prix de l’essence ou de la nourriture sont trop « volatils ». Au moins la chose est-elle dite ouvertement.

 

Tous les gouvernements depuis 30 ans, au tant républicains que démocrates, ont eu recours à ce procédé et fait réviser constamment les méthodes de calcul pour que le taux d’inflation soit réduit. En utilisant l’ancienne méthode de calcul vs la nouvelle William arrive à ce résultat :



Source : http://www.shadowstats.com

En ce qui concerne le taux d’inflation en France il m’est difficile de comparer le prix réel d’un panier d’épicerie avec les statistiques de l’INSEE mais d’après l’opinion de certains français rencontrés la chose ne serait pas étonnante. A tout le moins semble-t-il exister certaines informations fragmentaires [1] sur le net. Pour le Québec par contre j’ai commencé à relevé le prix d'une centaine articles environ (nourriture, appareils ménagers, voitures, logement, transport, loisirs) et il sera possible de comparer dans quelques mois. L'ennui c'est qu'il n'existe pas un taux d'inflation mais plusieurs. Tout dépend si quelqu'un consacre réellement 10% de son budget pour l'alimentation au lieu de 20%, 6% au logement plutôt que 25%, etc..

 

On voit souvent apparaître des études montrant que le pouvoir d’achat des travailleurs stagne depuis 30 ou même 40 ans, mais ces études sont souvent basées sur le taux d’inflation officiel fourni par les différentes organisations plus ou moins dépendantes du pouvoir en place. Au moins aux Etats-Unis il apparaît clairement que le pouvoir d’achat de la majorité de la population a diminué depuis 40 ans, du jamais vu en temps de paix. Les choses ont peu de chances de s’arranger puisque les causes de cette perte du pouvoir d’achat sont encore en place ; la seule façon pour un politicien de se faire élire, c’est de promettre de saupoudrer un peu partout sans hausser les impôts. Au-delà d’un certain seuil une hausse des impôts fait fuir vers l’étranger les compagnies et certains professionnels qualifiés quand elle ne décourage pas l’initiative ; un dégraissage de la fonction publique par contre provoque une chute de popularité dans l’opinion publique et des manifestations.

 

Tant et aussi longtemps que le franc et les autres monnaies étaient ancrées sur le dollar américain, dont la valeur elle-même était sujette à un contrôle à cause du système de Bretton Woods qui imposait une certaine convertibilité du dollar en or, il était difficile de générer de l’inflation, qui n’est en fait qu’un impôt déguisé. Mais depuis 1971, soit depuis que les Etats-Unis ont renié cet accord, il est maintenant possible de dissimuler une hausse d’impôts réelle par le biais de la planche à billets et de développer une clientèle d’électeurs qui veut du pain, des jeux et des emplois (subventionnés), quant il ne s’agit pas de compagnies subventionnées.

 

Le paradoxe est que pendant le siècle qui a précédé 1971, même pendant la plupart des périodes de déflation (hormis une période de quelques années après 1929 [2]) le pouvoir d’achat réel des travailleurs n’a cessé d’augmenter, de 2 à 3% par an en moyenne ; aux Etats-Unis et au Canada surtout c’était à l’époque du capitalisme sauvage. C’était une époque d’obscurantisme où les banques devaient limiter le crédit à un nombre restreint des prêteurs solvables puisqu’il leur fallait posséder l’or nécessaire pour faire face à leurs obligations et convertir les billets au besoin. L’or ne se fabrique pas facilement ; les bouts de papier par contre…C’était une époque d’obscurantisme où les produits dérivés et autres outils financiers n’existaient pas, où une armée d’économistes n’était pas occupée jours et nuits à éteindre les feux qui se déclarent et à intervenir lourdement afin d’orienter l’économie pour sauver le monde d’une catastrophe au lieu de laisser les gens faire leur petite affaire.

 

C’était une époque barbare où les cartes de crédit étaient quasi-inexistantes, où des milliers de spécialistes occupant des bureaux luxueux n’étaient pas payés pour faire appliquer des lois toujours plus compliquées et scruter à la loupe les bilans financiers à Wall Street pour éviter tout dérapage. Les méthodes de surveillance et d’encadrement étaient plutôt rustiques si on compare aux années 1990 ou 2000. Les compagnies ou les banques qui avaient pris des risques inutiles en voulant jouer au poker crevaient de leur belle mort et servaient d'exemple au lieu d’être secourues. On n'avait pas encore inventé le concept de collectivisation des pertes et de privatisation des profits.

 

 

1
Voir Les vrais chiffres de l'inflation ,http://www.impots-utiles.com/les-vrais-chiffres-de-l-inflation-et-de-l-augmentation-des-prix-depuis-2000.php
2
*Note: La période qui précède 1929 en a été une d'expension monétaire phénoménale où les Etats-Unis ont pu encourager le crédit en courcircuitant les restrictions imposées par une couverture en or adéquate par le biais d'une astuce: Des bons à long terme de la "Fed" avec un taux d'intérêt alléchant avaient été émis pour drainer l'or de l'Europe vers l'Amérique ou "emprunter" celui-ci.

 

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